Le Chemin des Espugues (1740 - 1500m)
Gavarnie, lieu mythique du Pyrénéisme... Victor Hugo y emmenait sa chère Juliette, le Comte Russel y a sa statue à l'entrée du village, de grands pyrénéistes y sont enterrés. Gavarnie, le Chamonix des Pyrénées ? Non, bien sûr. Néanmoins, le lieu exerce un attrait certain sur beaucoup de gens, du curiste de Luz au pélerin de Lourdes, en passant par l'alpiniste venu se mesurer aux cascades de glace ou par le promeneur du dimanche venu voir la montagne. Nous ne manquons pas d'y aller au moins une fois par an, que ce soit pour une course au Taillon (voir la page sur ce sujet) ou pour aller voir le spectacle du Chantier-théâtre donné en plein air sur la prairie de la Courade à l'entrée du Cirque.
Cette fois-ci, en guise de mise en jambe en début de séjour, nous allons faire le Chemin des Espugues. Variante à "l'autoroute à touristes" qu'est le grand chemin du cirque, le chemin des Espugues est intéressant à plus d'un titre : il permet d'arriver à l'Hôtellerie du Cirque "par le haut", donnant ainsi un point de vue original sur le cirque. Il permet aussi d'éviter la foule, bien qu'il soit difficile de n'y rencontrer personne. Enfin, il permet de se retrouver sur un "vrai" chemin de montagne tout en restant relativement accessible. Attention toutefois aux à-pics, parfois impressionnants, qui nécessitent d'encorder les enfants (surtout inexpérimentés) pour les faire marcher en toute sécurité.
photo : Marie sur la route du cirque
Le village de Gavarnie vu depuis le chemin du Pailla.
Le chemin part de la route du Cirque, environ 500m à gauche après le poste de secours. Un panneau indique la direction du refuge des Espugues. On entame tout de suite la montée qui va nous conduire 400 mètres plus haut, à la prairie du Pailla. La montée est raide, mais relativement facile. Attention toutefois en début de saison, la neige peut rendre ce type de chemin dangereux. Nous profitons des nombreux petits arrêts pour admirer le paysage. Les sommets du cirque se découvrent petit à petit, tous à plus de 3000m.
La Tour (3009m) et le Casque (3006m), deux des grands sommets du Cirque de Gavarnie.
Vue plus large prise depuis le même endroit. De gauche à droite : les contreforts du Marboré (3248m), les Trois Pics de la Cascade (autour de 3030m), l'Épaule (3073m), la Tour, le Casque, et les Sarradets (2939m) à l'extrème droite, qui nous cachent la Brèche de Roland.
Quelques lambeaux de glacier subsistent encore, mais pour combien de temps ? Nous marchons à l'ombre du sous-bois, il fait bon. Nous arrivons à la prairie du Pailla. De là, le refuge des Espugues (2027m) est bien visible par beau temps, ainsi que la Hourquette d'Alans (ou d'Alanz dans certains ouvrages anciens ; 2430m) qui permet le passage vers le cirque d'Estaubé voisin. Nous n'allons cependant pas jusqu'au refuge et partons plein sud sur le chemin des Espugues.
Que photographie Arnaud ? Une bande d'isards ?
Non, des iris sauvages !
Il y en a à perte de vue. N'oublions pas le dicton : "Prends l'odeur, laisse la fleur" et ne cueuillons pas les fleurs en montagne !
Marie recharge les batteries à coup de Cracottes (r) !
La prairie du Pailla nous offre l'occasion de faire notre première pause. Après cette rude montée (c'est la première sortie de la saison !), nous ressentons le besoin de refaire le plein d'énergie. Sucres rapides (lait concentré, fruits secs et pâtes de fruit) et sucres lents (céréales, biscuits) sont engloutis par les petits et les grands. On boit un peu d'eau, puis on repart.
Louis, qui nous accompagne aujourd'hui, rencontre alors un CRS du poste de secours de Gavarnie (1). Celui-ci part faire une reconnaissance des équipements de canyoning qui permettent de descendre le ruisseau qui s'écoule de la prairie du Pailla. Nous faisons un bout de marche avec lui, puis le regardons s'équiper et entamer sa descente. Nous le perdons rapidement de vue. Tentation pour les uns, repoussoir pour les autres, le canyon ne laisse pas indifférent. Là où Arnaud ne voit qu'une pratique de fous furieux, je me prend à rêver aux gorges, cascades, tobbogans qu'il faut descendre, tantôt en saut libre, tantôt en rappel. Adrénaline garantie ! Mais nous sommes là pour marcher, alors marchons !
Cette marmite, accessible par un saut de trois mètres, marque le point de départ du canyon. L'été 2003 a été marqué par la sécheresse, le ruisseau ne coule pas... en apparence, car l'eau circule sous terre et ressurgit plus loin. Marie et Mayeule au point de départ du canyon, sous la passerelle du chemin des Espugues.
Dès lors, le chemin serpente à flanc de falaise. Le chemin est très étroit, souvent au bord d'un à-pic, et parfois glissant. Louis encorde donc Marie, afin de ne pas prendre de risque inutile. Celle-ci est très fière. Encordé, on se sent encore plus montagnard !
Oui, je sais, il y en a une autre presque identique en haut de page, mais je ne m'en lasse pas :-)
Et nous voilà partis sur le chemin des Espugues. Depuis le début de cette page, je vous parle d'Espugues, vous devez commencer à vous demander ce que celà signifie ? Voisi l'explication : espuguettes est le diminutif (pluriel) d'espugue, dont Marcellin Bérot ("La vie des hommes de la montagne dans les Pyrénées racontée par la toponymie", éditions PNP/Milan) nous dit qu'il signifie grotte, caverne. Directement dérivé du latin spelunca (grotte, caverne, antre, nous dit le Gaffiot), on retrouve ce mot en espagnol, espelunca, avec la même signification. Signalons aussi, par exemple, le village de Lespugue, en Haute-Garonne, où ont été mis à jour de nombreux abris sous roche et grottes préhistoriques. La Vénus de Lespugue est une célèbre statuette conservée au Musée des Antiquités Nationales à Saint-Germain en Laye. Enfin, et pour être complet, d'autres mots, comme spéléologie, ont la même origine.
Dure est la vie en montagne, autant pour les homme et les bêtes, que pour les plantes. Cet arbre l'illustre bien : courbé par le poids des neiges qui le recouvrent une grande partie de l'année, il pousse la tête en bas ! Ne vous laissez pas méprendre par son état désseché, il est bien vivant. Mais que l'été 2003 aura été sec !
Continuant notre chemin, nous apprecevons la prairie de la Courade, où a lieu tous les ans le Festival de Gavarnie, spectacle de théâtre en plein air monté par le Chantier-Théâtre. Nous y avons vu les Noces de Figaro, Roméo et Juliette, l'Odyssée. Cette année, la représentation d'une composition autour de l'Hymne à la joie de Beethoven ne nous a pas attiré, mais qui sait, l'année prochaine, peut-etre ? Sur la photo, le lieu du spectacle, avec la scène à gauche, les chaises du public et les tentes des technicien, le tout en vert et entièrement démontable, Parc National oblige ! En bas, au premier plan, "l'autoroute à touristes" qui mène du village (à droite) au cirque (à gauche).
Nous arrivons au terme de notre périple : bientôt nous poserons le pied sur la terrasse de l'Hôtellerie du Cirque, dont on apperçoit la toiture en bas à droite de la photo. Devant nous, la grande muraille que Victor Hugo décrivait avec emphase comme étant une des choses les plus extraordinaires qu'il lui ait été donné à voir (consultez notre page sur Hugo et les Pyrénées). 1000 mètres de muraille, quasiment infranchissables (2), ferment le paysage. Mais quel paysage ! Quelle grandeur, quelle immensité ! On se sent minuscule, au fond d'un grand chaudron. D'ailleurs, l'ancien nom du Cirque de Gavarnie n'est-il pas "l'Oule du Marboré" (era oula det Marboré), ainsi que le signale Bérot (op.cit.)? Le nom moderne aurait été donné par les romantiques, en quête de grandeur. Dasn leur esprit, un cirque devait être plus majestueux qu'un chaudron ! De l'autre côté de la ligne de crête, c'est l'Espagne.
Une vue plus générale du cirque, prise depuis la route du cirque sur le chemin du retour.
On ne peut s'empêcher de se demander, en des lieux aussi reculés, comment des hommes ont été amenés à s'installer ici, à y construire un village. Certe, les cadets, ne pouvant reprendre la ferme déjà promise à l'ainé, devaient partir s'installer ailleurs pour les uns, s'enrôler dans l'armée pour les autres (rappelez-vous, Cyrano et ses Cadets de Gascogne...). Mais quel pays inhospitalier ! De quoi pouvait-on vivre ici, avant le développement touristique ? Un (tout) petit peu d'élevage ? De la contrebande ? Probablement un peu de tout celà. Certains auteurs décrivent les habitants des fonds de vallée comme des pillards et des bandits de grand chemin. Mais avaient-ils autre chose pour survivre ?
La grande cascade du cirque, ou eth pich det Marboré (l'eau qui pisse du Marboré, selon Bérot).
Il semble qu'une fois de plus, nous avons bien fait de partir tôt. Le ciel se couvre de gros nuages, il ne va bientôt pas faire bon être en altitude. Comparez la photo ci-dessus de la tour et du Casque avec celle que nous avons placée en haut de page, et qui a été prisé à peine quelques heures plus tôt.
Véritable mur, que cette falaise.
Une dernière vue sur les sommets du cirque, voici les Sarradets, sommet secondaire, qui nous cache la Brèche de Roland, autre lieu magique et mythique des Pyrénées.
Photos et texte : Besnehard - Buffet
Note1 : il faut se méfier des sorties avec Louis, il arrive à vous rendre tous les flics et les cognes sympathiques !
Note2 : Les Pyrénées n'ont été infranchissables que dans l'esprit des romantiques, qui aimaient à se faire peur en voyant des gouffres et des murs partout. Infranchissable, la montagne n'en est que plus mystérieuse ! A quelques centaines de mètres de notre chemin, le Port de Boucharo permet le passage vers l'Espagne, la Brèche de Roland aussi. N'oublions pas les cols hymalayens, à plus de 4000m d'altitude, parfois 5000, qui jalonnaient la route de la soie et qui n'ont jamais été des barrières !