Deux montées au Taillon (août 1999 - août 2001)



Le Taillon (3144m) est probablement un des 3000 les plus fréquentés des Pyrénées. Il bénéficie de la proximité de la Brèche de Roland, site grandiose qui attire beaucoup de monde à la belle saison, et il est (relativement) facile d'accès une fois qu'on est à la Brèche.

Cette fréquentation importante de la Brèche de Roland fait que certains dénigrent ce site, le qualifiant de "lieu commun", et prétendent n'y jamais mettre les pieds, se réservant pour de mystérieux "endroits secrets" dont ils parlent beaucoup, mais dont on ne voit jamais la couleur. Alors, ne boudons pas notre plaisir, la Brèche de Roland est certes fréquentée, mais le site est grandiose, et pour peu que l'on choisisse le jour où l'on y monte, on peut s'en mettre plein les yeux sans se faire marcher sur les pieds.

Nous y sommes montés une première fois en 1999, lors d'une sortie organisée par la liste de discussion Pyrène. C'était l'occasion de rencontrer in real life les gens avec qui l'on discute par le biais du courrier électronique à longueur d'année. Cette sortie, organisée par Louis Dollo, a réuni une quinzaine de personnes. Le temps n'était hélas pas extra ce jour-là.

Devant le poste de police de Gavarnie (photo Ph. Villette)

Rendez-vous avait été donné devant l'Office de Tourisme de Gavarnie.Nous nous y sommes donc retrouvés, Louis, Franck et ses cousines, Filou et son frangin, Gérard et sa femme, mon frère Jérôme et moi, pour aller ensemble au poste de secours en montagne de la CRS29 de Gavarnie afin d'avoir un entretien avec les CRS de haute montagne sur le thème de la sécurité lors des sorties en montagne mais aussi sur leur métier de sauveteurs.

Il y avait les pilotes de l'hélicoptère de la sécurité civile et le médecin du SAMU 65.

Actuellement, et pendant tout l'hiver, ce poste n'est ouvert qu'une semaine sur deux à partir du mardi, l'autre semaine de secours étant assurée par le PGHM (gendarmerie cette fois, alors que les CRS sont des fonctionnaires de police) de Pierrefitte Nestalas.

Nombre d'entre nous étions débutants ou pratiquants occasionnels, ce fut l'occasion de faire le point sur nos connaissances.

Certains membres éminents de la liste avaient affirmé qu'ils viendraient, mais se sont désistés au dernier moment (ils en ont été quittes pour un pack de bière à la rencontre suivante ! - ¨Private Joke)

Puis nous montons (en voiture) au parking du Col des Tentes, sur la route du Col de Boucharo (2270m). La route est goudronnée jusqu'au Col de boucharo, mais elle est fermée à la circulation à partir du Col des Tentes, le Parc National des Pyrénées ne délivrant plus les autorisations de circulation aux engins de travaux nécessaires à la remise en état après chaque hiver...

Le Col des Tentes

Casse-crôute au Col des Tentes (photo Ph. Villette)

Nous prenons un bon casse-croûte avant d'entamer la montée au refuge de la Brèche, aussi connu sous le nom de refuge des Sarradets. Nous nous mettons en route en tout début d'après-midi.

Le chemin jusqu'à Boucharo est facile, la route est goudronnée. Arrivés à Boucharo, nous sommes surpris par le vent glacial qui s'engouffre dans le col. Nous nous engageons bien vite sur le sentier qui monte vers les Sarradets. Il fait meilleur à l'abri !

Ca grimpe ! (photo Ph. Villette)

La marche est facile. Malgré ce que le temps couvert et la température basse pourraient laisser penser, nous sommes en plein été. Le chemin est dégagé, il n'y a pas de neige, tout au plus un peu de bruine dans l'air.

Nous passons plusieurs petits ruisseaux de fonte, sans dfficulté en cette saison. Une petite pause à l'abri d'un gros bloc de roche. Il y a du monde, c'est un des chemins les plus fréquentés dans les Pyrénées en cette saison. Nous le savions, mais cette rando est surtout un prétexte à se rencontrer, pas à découvrir des paysages isolés de tout touriste !

La cascade du glacier du Taillon (photo Ph. Villette)

Après un bon moment de marche (nous prenons notre temps, nous arrêtant souvent pour discuter), nous parvenons à la cascade du Glacier du Taillon. Premier passage délicat de notre parcours. En 1999, la cascade n'était pas encore équipée de mains courantes. Celà a été fait depuis, mais il semble à l'usage que cet équipement ne sécurise rien du tout. Il pousse au contraire les randonneurs à emprunter un chemin qui n'est en rien moins dangereux que celui que nous avons emprunté par deux fois, en 1999 et en 2001. Ironie de l'affaire, personne ne revendique la pose de cette chaîne...

Contrairement à la plupart des gens qui cherchent à passer le plus haut possible dans l'espoir de ne pas se mouiller les pieds, nous serrons nos bas de pantalons et passons tout droit, par le chemin le plus court. Les guêtres montrent ici toute leur utilité, il ne faut pas hésiter à les enfiler pour passer la cascade, quitte à les enlever juste après si le besoin ne s'en fait pas sentir pour le reste de la rando. Et si l'on n'a pas de guêtres, mieux vaut se mouiller les chaussures que de risquer de tomber sur les rochers en passant trop haut.

A chaque passage à cet endroit, j'ai eu l'occasion d'observer des comportements imprudents, voire dangereux.

Le pierrier après la cascade du Glacier du Taillon (photo Ph. Villette)

Après la cascade, le chemin monte à travers un large pierrier jusqu'au Col de Sarradets. La montée me paraît difficile, mais je suis fatigué ce jour-là. Je monterais beaucoup plus facilement lors de ma seconde visite à l'été 2001. Les bâtons de marche ne sont pas de trop pour m'équilibrer et m'aider à grimper. Nous sommes dans le brouillard le plus complet.

Enfin nous parvenons au Col des Sarradets (2589m). J'ai un peu peur à l'idée de remettre çà demain, je ne suis vraiment pas en forme cet après-midi. Ce pierrier m'a coupé le jambes. Mais finalement, je me dis qu'après une bonne nuit, ca devrait aller. Tiens, le chemin vers le refuge (que l'on ne voit pas tant il y a de brouillard) est presque plat, on dirait même qu'il descend ! Ca repose mes jambes fatiguées !

Refuge des Sarradets, ou de la Brèche de Roland (2587m, géré par le Club Alpin Français). Nous nous déchaussons (obligatoire dans les refuges !), les sacs s'empilent dans l'entrée. Si vous devez y passer, pensez à mettre une paire d'espadrilles dans votre sac, ça vous évitera d'utiliser les sabots en caoutchouc que le refuge met à votre disposition quand vous enlevez vos godasses ! De la chaleur, des chaises, des tables et du chocolat chaud. Et du monde, mais ça contribue à la chaleur !

Nous nous asseyons et la discussion commence. Il est 16h30, elle durera jusqu'au soir. Principal sujet de discussion autour des tables : la météo. La grande phrase du jour (en essuyant un peu de buée sur le carreau pour regarder la Brèche) : "Aaaah, on la devine presque !" L'ambiance est bonne, on cause, on rigole. Je bulle dans un demi-sommeil, bercé par le bruit des conversations environnantes et par la chaleur. De temps à autres, on sort pour voir si "on la voit", et on rentre, déçu de ne toujours pas "l'avoir vue". Finalement, on "la verra" le soir, juste avant le coucher du soleil, dans la trouée d'une éclaircie furtive.

Repas, discussion, dodo. Nous allons nous coucher. Le refuge est doté de trois chambrées. Celles-ci sont équipées de bas-flancs sur trois niveau, qui donnent un "petit air concentrationnaire", selon un des membres de notre groupe. Ce n'est effectivement pas très haut, et la sensation n'est pas très agréable losque l'on se glisse entre les planches.

Pour une nuit au refuge, pensez à vous munir d'un "sac à viande". Il s'agit d'un drap cousu de façon à fomer un sac de la taille du corps dans lequel on se glisse avant de se couvrir d'une couverture fournie par le refuge. Le modèle le plus répandu dans les refuges est le "sac à viande SNCF", que ceux qui voyagent en couchettes connaisent bien. Mais il en existe plusieurs modèles dans le commerce, et ce n'est pas très difficile à réaliser si l'on coud. Autre précaution : comme on se retrouve vite à 20 ou 25 par chambrée, pensez aux boules Quiès ! Les objets "précieux" que l'on n'a pas laissé dans le sac, resté dans l'entrée du refuge (papiers, argent, téléphone...) trouvent une place dans un petit sac qui sert d'oreiller enroulé dans un polaire.

(photo Ph. Villette)

Après une nuit réparatrice, et un petit déjeuner, nous sortons sur la terrasse du refuge. La vue est dégagée sur le bas de la paroi. "Ah, là, on la devine bien !" Nous nous préparons à grimper. Plusieurs groupes sont sur la terrasse, à se préparer et à se regarder en se demandant lesquels vont être les premiers à se lancer.

Finalement, ce sera nous. Nous sommes déjà à mi-pente lorsque nous voyons les suivants se mettre en route. L'ascension n'est pas évidente, ca glisse pas mal sur le glacier lorsque nous devons le traverser. Louis, qui marche en tête, doit alors tailler des marches, afin d'y prendre appui. Nous parvenons à une première "arrête", une barre rocheuse qui surplombe le refuge. En face de nous, les Sarradets emergent de la brume.

Le Glacier de la Brèche.
Le personnage en bleu donne l'échelle par rapport aux personnages qui traversent le glacier à l'extrème gauche de la photo.

On voit l'Ardiden, noyé dans les nuages. Nous nous engageons alors sur le glacier de la Brèche, sans trop de grosses difficultés. La grande photo verticale ci-dessus (prise au retour) vous le montre partiellement, sous la Brèche. Losque nous en sommes à la grimpette finale, j'ai la surprise, en faisant rouler les cailloux du pierrier sous mes pieds, de découvrir la glace cachée sous les pierres. Sous les pavés la glace ? Elle est bleutée, translucide, et très lisse, glissante à l'extrème. Passage dangereux ! Nous sommes rejoints par un jeune garçon; échappé du groupe qui nous suit. Comme nous montons en lacet, nous lui demandons de nous "coller au train" s'il ne veut pas se prendre une pierre sur la tête. Il ne comprend pas, il est hollandais. Je fais la traduction...

Trois vues depuis la Brèche de Roland : le Pic des Sarradets et l'Ardiden au fond ...

... la vallée de Gavarnie, et le Pimené dans les nuages ...

... et sous nos pieds, le col des Sarradets et le refuge. Des gens montent le pierrier de la moraine.

Un dernier "coup de cul" et nous sommes à la Brèche (2807m). Nous prenons le vent en pleine face. Il sera constamment présent à chaque fois que nous serons sur la crête. A 5 mètres au dessus de nous, des choucas (ou chocards) luttent contre le vent, sans pouvoir franchir le passage. Nous faisons halte dans une anfractuosité du rocher, quelques dizaines de mètres après la Brèche. On se couvre, il fait glacial. Puis l'ascension continue : le Doigt de la Fausse Brèche, où nous repassons versant français, puis un peu plus loin un passage entre deux rochers où nous revenons en Espagne. Finalement, après avoir "bouffé du caillou", nous parvenons au sommet du Taillon (3144m). C'est la première fois que je monte à 3000m, et je ne suis pas le seul. Nous sommes dans un brouillard complet, on ne voit pas à 10 mètres, le vent nous gèle. Les filles se cachent dans le cercle de pierre dressé là par les randonneurs successifs, les plus courageux sortent les mains pour se fumer une cigarette, histoire de se réchauffer (?). Malgré le temps, on plaisante et on rit beaucoup.

Le Taillon dans la brume depuis la montée à la Brèche.

Puis nous décidons de redescendre, par un itinéraire légèrement différent. Cela me donnera l'occasion d'essayer la "descente de pierrier tout droit en courant". Nous sommes restés en tout un quart d'heure en haut.

Une éclaircie nous montre le chemin de la descente.

A la redescente, nous passons devant la "Grotte des Allemands". Elle se trouve au pied du Doigt de la Fausse Brèche. Nous y étions passés en montant sans nous y arrêter. Deux jeunes randonneurs allemands y sont morts foudroyés en 1992. Ils s'étaient abrités d'un orage dans cette grotte (versant français, juste après la Fausse Brèche en redescendant) et ils s'étaient installés tout au fond de la grotte contre la paroi. La foudre est tombée et ils ont été électrocutés. Une plaque posée par les familles commémore ce triste événement.

Ils avaient 18 ans.

Vue prise du même endroit que ci-dessus, un quart de tour à droite.

Lorsque nous longeons la muraille au retour, une petite éclaircie nous permet de voir le fond de la vallée sous nos pieds. Cette muraille, que l'on longe à l'aller et au retour, est la face sud du Bazillac. Des lacs de fonte, quelques taches d'herbe. Ce doit être beau, par temps dégagé ! Nous redescendons sans nous attarder dans ce coin inhospitalier par ce temps glacial. En revanche, quel plaisir j'aurais, deux ans après à faire une petite sièste au soleil dans le trou de rocher où nous nous sommes arrêtés à l'aller ! Ce jour-là, il faisait grand beau, nous faisions l'aller et retour dans la journée, nous étions en forme et la vue du sommet était dégagée. Le paysage est vraiment grandiose. On se sent pris de cette langueur contemplative qui ne donne plus envie de redescendre. J'aurais une anecdote à ce propos à raconter dans la page sur le Cagire.

Nous repassons la Brèche, nettement plus fréquentée que ce matin de bonne heure.

Nous atteignons le refuge pour l'heure du déjeuner, et c'est le déballage sur la terrasse. Qui sort son pain, qui du saucisson, qui du fromage. Avec mon frère, nous nous préparons une soupe déshydratée. Ca réchauffe, et c'est riche en sel, dont nous ressentons le besoin après cette ascencion. Un des frères Villette sort alors une bouteille de yaourt liquide et propose l'apéritif à tout le monde. Cela nous fait tous rire, mais lorsque nous comprenons que la bouteille contient du Pastis, les verres se tendent. Il paraît que Ledormeur était fidèle au Pernod de 3000m ! En ce qui nous concerne, c'est une erreur, cela nous coupera les jambes pour la redescente. Qu''importe, nous ne sommes pas là pour la performance, mais pour passer un bon moment.

Nous arriverons épuisés au parking du Col des Tentes. Pour beaucoup d'entre nous, qui ne pratiquons pas régulièrement la haute montagne, le manque d'endurance se fait sentir. J'en prends bonne note et essaierai toujours de me préparer physiquement avant chaque été (natation, vélo, marche). Un autre truc à savoir : passer la nuit avant l'ascension en altitude permet de s'acclimater (même si ce n'est qu'une nuit) et d'être plus performant le lendemain. Attention cependant, il est interdit de planter la tente dans le Parc National des Pyrénées si l'on ne se trouve pas à moins d'une heure de marche d'un accès routier.

La journée se termine au gite "Le Gypaète", à Gavarnie. Nous y prenons un pot en compagnie de Christian Ringeval, garde du Parc National, en discutant de son métier de garde, de la protection des espèces, et bien sûr de l'ours. N'allez pas croire que les gardes se la coulent douce en buvant des coups avec les randonneurs, Christian était en déplacement officiel pour nous rencontrer, car l'information fait aussi partie de son travail. Cette discussion fut fructueuse et riche d'enseignements pour la plupart d'entre nous, en particulier en nous apportant des éléments sur la réintroduciton de l'ours dans les Pyrénées. Mais ceci fera l'objet d'une autre page (rendez-vous sur le site de Louis en attendant !)

PS : Le Gypaète fait partie de nos bonnes adresses...

 

Merci à

Louis Dollo pour l'organisation de cette sortie (visitez Le monde des Pyrénées),

et à Philippe Villette pour les photos (et pour le pastis !)

aux autres, pour la bonne humeur

(c) photos et texte : Besnehard - Buffet sauf indication contraire.


 

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